Yoann Choin-Joubert, REALITES : "Il n'y a pas de finalité en soi dans la maîtrise d'ouvrage"
Publié le 17 juin 2021
Expliquez-nous votre vision de votre métier qui s'appuie, je crois, sur le partenariat avec les territoires ?
Ce que nous pensons, c'est que la promotion, ce qu'on appelle la promotion immobilière résidentielle, est un métier poussiéreux qui doit se réinventer.
D'ailleurs, c'est une des raisons pour laquelle il est en crise. Pas seulement, mais c'est un métier qui a un fonctionnement archaïque, des valeurs archaïques et une vision de la société qui est trop souvent archaïque.
Et c'est pour ça qu'en quatre, cinq ans, la production amont a été divisée par deux. Parce qu'on n'a pas su s'adapter assez vite.
Promoteur immobilier c'est une image caricaturale. Si vous voulez rater un projet, il vous suffit de dire que vous êtes promoteur immobilier : vous avez fait monter par 10 vos chances de rater votre projet. Parce que derrière "promoteur immobilier", il y a le mot "bétonneur" qui arrive vite, comme si nous étions nous-mêmes constructeurs et que nous prenions plaisir à faire des immeubles vides. Si vous avez envie de réussir, vous avez intérêt à être un peu plus que ça.
Alors maintenant, beaucoup de gens dans la profession changent de logiciel, mais nous avons été en retard sur les évolutions de la société. Donc oui, il faut être un partenaire du développement des territoires.
D'ailleurs, quand nous présentons REALITES, nous disons que nous faisons du développement territorial et que ça, c'est l'association de la maîtrise d'usage et de la maîtrise d'ouvrage. Nous ne parlons jamais de promotion immobilière, même si la promotion immobilière est une part de la maîtrise d'ouvrage.
Nous, nous travaillons pour les gens, nous travaillons pour l'usage, nous travaillons pour demain, nous travaillons pour assurer une perspective à nos territoires et ça passe par l'usage, et ensuite, des ouvrages. Et il faut beaucoup d'ingénierie au milieu de tout ça. Le développement territorial, c'est avant tout de l'ingénierie.
Cet équilibre dont vous parlez entre la maîtrise d'usage et la maîtrise d'ouvrage, à quoi ça correspond ? Comment ça s'articule ?
Il faut simplement se rappeler qu'un ouvrage n'a de valeur que par l'usage qu'on y déploie.
Regardez ces villas en première couronne des grandes villes et qui valent trois francs six sous désormais, alors que ce sont des bâtiments magnifiques, mais où plus personne n'a envie d'habiter.
Et quand on perd l'usage, on perd la valeur de l'ouvrage. On s'est trop concentré sur les mètres carrés à construire et pas assez sur le discours d'usage, parce que derrière l'usage il y a l'utilité. Il faut que les projets aient une utilité, aient du sens, y compris pour les collaborateurs du groupe. En fait, nous essayons de répondre à la question : à quoi servons nous ?
C'est en répondant à cette question-là que nous arrivons à rester une entreprise en croissance comme nous le sommes aujourd'hui. Disons simplement une entreprise qui a une dynamique. Nous avons plutôt des difficultés à faire le tri dans nos opportunités de croissance que l'inverse.
Et ça, c'est parce que chez REALITES, notre positionnement est complètement disruptant. Il s'adosse sur des métiers classiques, sans doute : oui, on fait du Pinel ; oui, on opère des résidences étudiantes. Ce n'est pas nouveau, ce qui est nouveau, c'est l'intégration verticale, de plus en plus forte avec la capacité à dialoguer avec un territoire.
Et la capacité de fabriquer les ouvrages, voire de les porter, et récemment encore, pour aller plus loin dans l'intégration, le développement d'une filiale, qui s'appelle REALITES Building Technologies, avec pour ambition d'investir dans la fabrication hors site pour industrialiser les processus de construction.
Ça c'est fortement innovant, pour un constructeur français…
He bien, si nous faisons bien ce que nous avons à faire, au mois de septembre, nous allons inaugurer la plus grande unité de production hors site de France. C'est ça REALITES, c'est une entreprise profondément tournée vers l'avenir et qui croit encore que le progrès a un sens. Ça ne tombe pas tout seul, il faut se battre pour l'opérer.
Et comment définir ce que seront les usages ? Vous avez affaire aux élus, aux gens, aux aménageurs ?
C'est un mélange d'élus, de consultation, de concertation, de la rencontre avec les CCI, avec les équipes de développement économique des territoires, des rencontres avec des entreprises. Il faut se comporter comme un sociologue. C'est la sociologie du développement territorial. Ce sont d'abord des sciences humaines puisque nous sommes les compagnons d'un projet de territoire.
Là, on parle des grands projets. Mais on peut aussi parler d'un projet de logements résidentiels de 50 lots. Tant qu'il est plein et qu'il y a des gens qui vivent dedans, il est utile.
Ça, c'est le mode le plus basique, le moins différenciant.
Cela apporte de la satisfaction client puisque dans un Net Promoteur Score, un indice de satisfaction client international, nous avons obtenu une note largement au-dessus de la moyenne des promoteurs en 2020.
Il ne faut pas avoir l'arrogance de ne vouloir faire que des grands projets de territoire. Il faut être capable de réfléchir un projet de territoire à l'échelle d'une commune, d'un quartier, même de toute une zone rurale, pourquoi pas.
Mais en même temps, il faut être capable d'opérer la maison médicale de 300 mètres carrés dans l'Aveyron. Et nous sommes capables, par notre filiale de maîtrise d'ouvrage, de le construire, ce petit bâtiment. Ce n'est pas un projet pharaonique, c'est modeste, mais on a des citoyens dans l'Aveyron qui ont besoin de voir des médecins. La tête dans les étoiles, mais les pieds sur terre.
La maîtrise d'ouvrage est un moyen. Il n'y a pas de finalité en soi dans la maîtrise d'ouvrage. Si ce n'est bien sûr de gagner de l'argent. Ce sont des modèles économiques que nous maîtrisons bien. Nous savons produire de l'ouvrage à 4-5 ans, le cash-flow est équilibré sur 4 ou 5 ans, mais ça n'est qu'un moyen.
En 2021, le maître d'ouvrage doit accepter que la maîtrise d'ouvrage ne soit qu'au service du développement des usages sur un territoire. Ces usages devant eux-mêmes constituer de la valeur ajoutée pour son territoire.
Vous avez des exemples à me décrire ?
J'en ai plein !
Le projet "Villes Dorées" à Saint-Brieuc : nous avons racheté un ancien site dans le centre-ville, en train de devenir une friche urbaine. Nous y construisons une résidence pour personnes âgées, une résidence étudiante, opérée par le Crous, une maison médicale, nous y faisons une petite polarité commerciale et nous quelques logements. Ainsi, nous transformons un début de paupérisation urbaine dans le cœur de Saint-Brieuc en opportunité de développement. C'est modeste, mais c'est utile. Et j'en ai plein des comme ça.
Travailler au service du développement de la Seine-Saint-Denis, de la ville de Saint-Ouen pour redonner à un des plus vieux clubs de France, le Red Star, une enceinte digne de ce nom ; investir dans le club pour l'aider à passer la crise ; et en même temps, à côté, faire un actif commercial et tertiaire de 30 000 mètres carrés qui va venir améliorer les offres dans le territoire, au cœur de la commune de Saint-Ouen, à 300 mètres de la mairie. Ça a du sens.
Et nous ? Nous ne gagnerons probablement jamais d'argent avec le club, nous allons plutôt en perdre. Nous ne gagnerons pas d'argent avec le stade, mais nous donnons des perspectives au territoire. Par contre nous allons être profitable, voire très profitable, sur l'actif commercial et tertiaire.
L'équilibre est à trouver entre ces deux genres : une utilité sociétale d'un côté, une économie profitable de l'autre.
D'autres exemples :
À Lacanau sur un site qui était à l'abandon depuis des décennies, allons créer une polarité santé avec un EPHAD et une maison médicale.
Nous faisons une résidence de personnes âgées à Loudéac, au fin fond du cœur de la Bretagne.
Et une autre résidence pour personnes âgées à Carcassonne.
Nous intervenons à Cherbourg avec Naval Group dans le cadre du contrat du siècle sur des sous-marins nucléaire.
C'est vraiment ce qui nous guide, en fait. REALITES, c'est une start-up, qui va faire 300 millions d'euros de CA cette année, avec 50 % de croissance encore après 20 ans de travail. Mais nous sommes toujours une start-up, et notre potentiel de croissance est énorme. Une croissance en volume, en maîtrise d'ouvrage, en maîtrise d'usage, en territoires, en foncières et encore en technologie avec le pôle de construction. Et on est en France et à l'international.
Beaucoup de perspectives, donc ?
Ça bouge, il y a vraiment un potentiel de croissance incroyable. Le sujet, c'est de l'opérer au bon rythme, avec une bonne maîtrise, d'être capable d'assurer les transformations progressives du groupe. Que les collaborateurs voient du sens, que les actionnaires voient du sens dans ce qu'on fait, qu'ils soient remerciés par des dividendes, etc.
Vous voyez, c'est une vision de la réussite. Dans les projets ou dans notre manière de manager, une vision de la réussite à 360 degrés.
C'est donc aussi une vision d'avenir ?
En 2021 nous avons lancé l'entreprise à mission et notre pôle industriel ; je pense que nous allons vite faire aboutir des croissances externes sur de nouveaux usages.
En Afrique, nous faisons également du développement des territoires à Casablanca ; nous lançons un premier projet immobilier à Dakar.
Nous avons envie de projeter REALITES sur le bassin méditerranéen et en Afrique parce qu'en matière de développement territorial, c'est la zone de ce troisième millénaire.
En fait REALITES, c'est un délicieux cocktail de choses qu'on oppose habituellement : à la fois très contemporain et très conservateur, très audacieux et très prudent.
Nous sommes très court terme, parce que nous vivons bien dans le temps présent et dans le présent. En même temps, nous voyons bien le court, le moyen et le long terme, et nous sommes tout à fait prêts à travailler pour un temps où on ne sera plus là nous-mêmes.
Nous faisons les choses parce qu'on les aime. Ça, ça correspond de manière très sincère à notre trajectoire.
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